Paris, le 21 septembre 2009, j’ai rendez-vous avec Stéphane Michalon qui travaille pour Tite-Live sur un projet de livre numérique : ePagine. Entre anciens libraires, le lieu de rendez-vous que nous avons choisi est… une librairie, devant L’Arbre à Lettres à la Bastille. Jusque-là je ne me suis pas vraiment intéressé au livre numérique, je regardais cela de loin, conscient qu’il faudrait bien s’adapter un jour mais sans avoir encore creusé la question.
Je lis depuis longtemps et suis entouré de livres ; certains sont de belle facture et j’ai toujours respecté le travail d’orfèvre de l’éditeur-imprimeur-libraire (à l’ancienne si je puis dire). Mais un beau livre sans contenu, sans fonds, ou bien qui ne me bouleverserait pas, ce livre aurait beau être bien fait, il ne trouverait pas grâce à mes yeux. J’ai par ailleurs chez moi des livres assez moches et qui ne valent rien (tant ils sont jaunis, cornés, déchirés…) et pourtant m’en séparer ne me viendrait pas à l’esprit. Parce que, bien que l’objet livre ait pris une grande place dans ma vie (dans l’appartement surtout), c’est avant tout le texte qui a fait ce que je suis : lecteur, passeur en librairie (Les Sandales d’Empédocle à Besançon) puis dans l’édition (Les Solitaires Intempestifs, La Dragonne, Sabine Wespieser éditeur), auteur d’un récit sur Les Saisons de Maurice Pons sur le site Inventaire/Invention et d’une lecture sur la poésie de Pascal Commère chez Prétexte, rédacteur pour Culturesfrance, animateur de rencontres littéraires et… blogueur aujourd’hui.
Stéphane Michalon me présente ePagine qui est un prestataire de solutions pour le livre numérique à destination des éditeurs et des libraires. A ce jour, un accord a été signé avec trois grands éditeurs : Gallimard, Le Seuil et Flammarion (plateforme Eden-Livres) ainsi qu’avec de nombreux autres éditeurs qui participent déjà au projet « librairie » : certains ont numérisé un livre (Minuit, Actes Sud, Payot, L’Olivier…) ; d’autres, quelques livres (Nouveau Monde, L’Éclat…) et quelques-uns proposent (ou vont proposer dans les prochains jours) de nombreuses références (La Table ronde, P.O.L., Eyrolles, Éditions d’Organisation…). Par ailleurs, Publie.net et Digit Books, tous deux spécialisés en livres numériques, ont également rejoint le projet. Sur le site d’ePagine il y a alors 1289 livres numérisés qu’on retrouve en vente sur les sites des librairies partenaires dont La Maison du Livre à Rodez, Durance et Vent d’Ouest à Nantes, Le Passage à Alençon, L’Alinéa à Martigues, Kléber à Strasbourg, Ombres Blanches à Toulouse et Quartier Latin à Nice. Plusieurs librairies parisiennes sont également partenaires du projet : Delamain, Lamartine, Le Divan, Librairie de Paris et la Librairie Gallimard ainsi que le site Bibliosurf. L’idée, me dit Stéphane Michalon, n’est pas de numériser le plus grand nombre de livres mais de penser ce site comme le libraire constitue et fait évoluer son assortiment : la qualité avant tout.
Pour animer le projet collectif libraires / éditeurs, Stéphane Michalon a eu l’idée de créer un blog. Et il souhaiterait que je rejoigne l’équipe éditoriale afin de l’alimenter. C’est la raison de ma présence ce 21 septembre dans un café rue du Faubourg Saint-Antoine. C’est à ce moment-là qu’il sort de son sac le Cybook de Bookeen. Je n’ai pas honte de dire que c’est la première fois que je tiens dans mes mains un ebook (ou « liseuse » ou « tablette »). Ce dernier contient, entre autres, La patience de Mauricette de Lucien Suel, livre publié à La Table Ronde en août 2009, et un premier roman de la rentrée littéraire : Murmures à Beyoğlu de David Boratav, publié chez Gallimard ; celui-ci sera d’ailleurs le premier livre que je lirai sur ce support. (Qui se souvient du premier livre qu’il a touché alors qu’il était encore un bébé ?)
Ce projet autour du livre numérique, à la croisée des chemins entre l’édition et la librairie me tente d’emblée. Je range alors dans mon sac le roman de David Boratav qui, je le sais déjà, emmène le lecteur de Londres à Istanbul en passant par Paris – j’ai un a priori positif. De cette lecture jaillira (je l’espère) une chronique qui devrait également être nourrie par ma rencontre avec l’auteur – invité par un autre Arbre à Lettres, celui de Mouffetard. Je posterai alors cette chronique sur le blog. D’autres livres suivront (d’autres chroniques, donc) ; il suffira (petite contrainte oulipienne) que le livre soit présent dans le catalogue ePagine et qu’il y ait une actualité en librairie autour de ce livre. Dans la mesure du possible, les lectures renverront à d’autres lectures, à des livres numérisés ou pas, à des lieux, des librairies bien sûr, à des salles de cinéma, à des festivals…
Aujourd’hui, j’aimerais que cet espace dédié à la lecture soit aussi le point de rencontre entre l’objet livre et le livre numérique, entre la librairie traditionnelle et la librairie en ligne, entre la librairie et l’édition (libr&dition) et qu’il soit le témoin de moments de lecture, de réunion et de partage. Du « livre à venir », pour reprendre un titre de Maurice Blanchot. Du livre-avenir.
Christophe Grossi
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Livres numériques cités dans l’article :
- La patience de Mauricette de Lucien Suel (La Table ronde)
- Murmures à Beyoğlu de David Boratav (Gallimard)
Autres livres cités :
- Les Saisons de Maurice Pons (Christian Bourgois éditeur)
- Le livre à venir de Maurice Blanchot (Gallimard)
- Pluralités du poème, huit études sur la poésie contemporaine, Collectif (Prétexte éditeur)